Porté par la Plate-Forme Haïtienne de Plaidoyer pour un Développement Alternatif (PAPDA), le Cahier National de Revendications des Organisations de Paysans et Paysannes Haïtiennes, publié en créole à Port-au-Prince en mai 2018, est le fruit d'une démarche de plus de 10 années. Celle-ci a abouti, entre autres, à la formulation d'un ensemble de revendications pour la reconnaissance des droits de la paysannerie haïtienne. Le cahier se veut également une contribution au plaidoyer du mouvement paysan international, en se référant à la “Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales”, adoptée par l’Assemblée générale le 17 décembre 2018[1]. Le Mouvement paysan mondial Via Campesina, dont 3 mouvements haïtiens sont membres, a contribué activement à cette Déclaration.

Le contenu du cahier part de l’histoire du pays et de ses luttes paysannes pour aboutir à la présentation de revendications économiques, sociales, culturelles et politiques, en passant par l’analyse des défis et des difficultés de la paysannerie, notamment en lien avec l'environnement et la question agraire. Il dessine un programme politique à long terme, pour la paysannerie comme pour l’ensemble du peuple haïtien. Il se veut un processus de conscientisation des couches populaires et d'articulation entre milieu rural et milieu urbain. 

 

Son élaboration a impliqué des dizaines d'organisations paysannes dans tout le pays, des mouvements paysans nationaux et d'autres acteurs, avec l'accompagnement de la PAPDA et le soutien en tant que consultant du GRAMIR (Groupe de Recherche et d'Appui en Milieu Rural). Cette démarche de sensibilisation et d'éducation permanente a été menée à travers la réalisation de multiples séances de formation, de réflexion, de discussion.

La genèse du projet date de 1997. Après des hauts et des bas, 3 Cahiers de revendications régionaux sont successivement réalisés grâce à une démarche participative : « Grand Nord » (2012-2013), « Grand Sud » (2014-2015), Centre et l'Ouest (2017-2018). En 2017 et 2018, 153 organisations mobilisent des paysans de tout le pays pour réaliser un Cahier national sur base des 3 Cahiers régionaux. Le processus aboutit les 16 et 17 Avril 2018 avec le Forum national de validation du Cahier national. Plus de 300 participants.es provenant des 10 départements du pays y valident le Cahier et mettent en place des structures de suivi. Des institutions étatiques sont présentes, ainsi que des réseaux et mouvements paysans internationaux, ainsi que de deux représentants de WBI.

Le chapitre sur l'histoire de la paysannerie et de ses luttes décrit comment furent jetés dès l'indép les bases d'une domination de la paysannerie par l'élite : domination économique (via le maintien de grandes propriétés et le contrôle du marché), politique (via le contrôle de l'état par une oligarchie) et culturelle (via la suprématie du français sur le créole). Cette situation se maintient jusqu'aujourd'hui. La masse paysanne n'a pourtant jamais accepté de se soumettre et toute l'histoire d'Haïti reste marquée par les luttes paysannes.

Un chapitre analyse la crise actuelle de l'agriculture : quasi-stagnation de la production ; diminution relative de l'importance du secteur même s'il reste le secteur central de l'activité du pays ; dépendance aux importations pour l'alimentation de la population ; baisse importante des exportations agricoles. La structure agraire est fragile : exploitations de plus en plus petites ; incertitudes sur la propriété et la disposition de la terre. A cela s'ajoutent la dégradation rapide de l'environnement, la mise en pratique de politiques néo-libérales qui ouvrent la porte à une invasion de produits étrangers et le désengagement de l’état par rapport à la paysannerie. Dans ce contexte, la population rurale n'a accès qu’à un niveau de services largement insuffisants (Éducation, santé, accès à l'eau et assainissement, moyens de transport et de communication, accès à l'électricité, sécurité). Une des conséquences est la migration massive des campagnes vers les villes ou l'Outre-mer.

Le chapitre sur l'environnement présente notamment les causes de la destruction de la forêt dans le pays : la colonisation qui développe de grandes plantations et l'exploitation sans contrôle des bois précieux ; le maintien de ces pratiques après l'indépendance ; l'exploitation sans contrôle des mines et des carrières ; et finalement l'augmentation de la population qui amène une trop grosse pression sur les terres. A cela s'ajoute aujourd'hui la prolifération du plastique et du polystyrène, les constructions anarchiques et les conséquences du changement climatique. L'érosion, du fait de la déforestation, emporte la terre arable des mornes et des plaines, réduisant ainsi la productivité des sols. L'eau ruisselle ou s'évapore au lieu de pénétrer dans les sols et les réserves d'eau souterraines diminuent.

C'est conscient de ce contexte que les membres des organisations ont élaboré leurs revendications et les ont présentées en termes de respect et de protection de leurs droits.

  • Droits économiques : environnement, agraire et foncier, agriculture, commercialisation...,
  • Droits sociaux : éducation, santé, eau potable, logement...
  • Droits culturels : langue, religion, traditions culturelles...
  • Droits politiques : décentralisation, justice, sécurité publique, droits humains...

Chaque fois, le cahier insiste sur la participation des acteurs sociaux, particulièrement les paysannes et les paysans, dans les réflexions, l’analyse, l’élaboration des politiques publiques à mettre en place.

Parmi les principales mesures proposées, nous trouvons celles qui visent à prioriser l'agriculture paysanne familiale, avec une emphase particulière sur la réforme agraire, le droit à la terre et la protection des terres fertiles : « Réaliser une réforme agraire intégrale qui se combinera avec un accompagnement pour mettre la terre en valeur, qui sera adaptée à la situation particulière du problème de la terre dans le pays, qui fixera la quantité de terre dont une famille peut disposer et quelles catégories de personnes doivent être prioritaires dans la restructuration, le remembrement et la redistribution des terres, en sorte que toutes les catégories de paysans et paysannes puissent disposer d’une terre cultivable à travailler »

Une autre série de revendications concerne l'environnement : réaliser et faire respecter un plan d'aménagement du territoire ; protéger les espaces forestiers restants ; insérer la formation sur l'environnement dans le programme des écoles ; réhabiliter, avec la participation de la population locale, les principaux bassins versants pour assurer la conservation de la terre et de l'eau, notamment en plantant des arbres indigènes ; renforcer et appliquer la loi sur les mines et les carrières ; réhabiliter les zones fragiles avec la participation de la population et mettre en place avec elle dans chaque commune une forêt et une pépinière pour le reboisement ; accompagner les paysans pour la mise en place de modèles agricoles agro-écologiques ; protéger les espèces rares ; contrôler les usines polluantes et la prolifération des déchets plastiques ; développer des services d'assainissement et de ramassage des ordures  ; établir d'un code de construction avec des normes contre les catastrophes naturelles.

On trouve aussi des revendications qui concernent les relations internationales du pays et le rétablissement de sa souveraineté : freiner l'achat de terres par les multinationales, notamment pour l’installation de zones franches et des projets d’agrobusiness (monocultures) ; protéger la production nationale contre les importations, notamment en relevant les barrières douanières ; interdire l'entrée des semences hybrides et des OGM, ainsi que des engrais et pesticides chimiques dangereux ; lutter contre les importations illégales et la contrebande ; taxer les dividendes que les grandes compagnies font sortir du pays et donner des avantages fiscaux aux entreprises qui réinvestissent dans le pays ; valoriser les produits haïtiens à l'étranger  et y faire la promotion du patrimoine culturel haïtien.

Une stratégie de mobilisation et de plaidoyer a été imaginée pour faire aboutir ces revendications. Au niveau national, une structure de suivi a été mise en place : le KOKS (Comité de Coordination et de Suivi du Plaidoyer) est composé de 13 membres (1 représentant de chaque département et 3 représentants des 3 grands mouvements paysans). Dans les départements et les communes, des Comités de Mobilisation et de Plaidoyer constitués de délégués des associations et mouvements participants doivent être créés. C'est un processus de long terme qui veut aboutir après plusieurs années à une négociation avec les différentes instances publiques aux différents niveaux. Il s'inscrit dans une approche d'éducation permanente qui vise à permettre à des organisations paysannes de s'approprier le contenu et la démarche et de s'y associer. Il vise aussi l'implication d'autres acteurs dans le milieu rural mais aussi urbain.

Les outils de plaidoyer que constituent les cahiers de revendications paysannes veulent changer les rapports entre les autorités et les organisations de base en fournissant à celles-ci les moyens nécessaires pour participer à un dialogue structuré et à l’élaboration des politiques publiques.

 

[1]     Voir le texte de la Déclaration sur le site des Nations Uniers : https://undocs.org/fr/A/RES/73/165

 

 

 

Infos Contact

  www.plateformehaiti.be

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